Parent F, Jouquan J. Comment élaborer et analyser un référentiel de compétences en santé. Une clarification conceptuelle et méthodologique de l’approche par compétences, Bruxelles 2015 : De Boeck

Encadré 9 – page 104

Savoir, savoir-faire, savoir-être.

Une typologie à succès, source de multiples confusions

Développée et diffusée surtout à partir des années 1970, la typologie « savoir/savoir-faire/savoir-être » a connu une fortune considérable, volontiers associée à l’émergence du concept de compétence, mais qui masque parfois mal toutes les ambiguïtés dont elle est porteuse.

La réflexion sur l’approche par compétences est ainsi une opportunité à saisir pour proposer, comme d’autres l’ont fait précédemment, quelques clarifications conceptuelles et terminologiques, et aider le lecteur à débusquer les chausse-trappes auxquelles expose l’usage de cette quasi « sacro-sainte trinité ».

Une première lecture de cette typologie en fait un équivalent de celle développée par les éducateurs anglo-saxons, « knowledge/skills/attitudes », souvent traduite littéralement en français par « connaissances/habiletés/attitudes ». Il s’agit de désigner respectivement les trois domaines de ressources « cognitif/psycho-moteur/socio-affectif ». En référence avec la notion de taxonomie, qui rend compte d’une catégorisation selon deux axes des activités et des phénomènes d’apprentissage (cf. section 2.4, p. 156), il s’agit donc d’une lecture « horizontale » et chacun des trois termes de la locution désigne respectivement un domaine ou une dimension des apprentissages.

Sous l’influence de la psychologie cognitive, une autre lecture s’est cependant peu à peu développée, notamment pour décliner le domaine cognitif. Dans ce cadre, « savoir » a ainsi été assimilé à la catégorie des connaissances déclaratives (connaissances formulées sous une forme propositionnelle, correspondant à des énoncés, des concepts, des lois, des principes mais aussi des règles, etc.). « Savoir-faire » a été employé pour désigner une variété de connaissances d’action, les connaissances procédurales, formulées sous une forme productionnelle (une condition – si – déclenche plusieurs séquences d’actions – alors, alors, alors...) ; de telles connaissances correspondent aux procédures qu’un individu est capable de mettre en œuvre de façon opératoire dans une tâche. La correspondance du « savoir-être » avec la troisième catégorie de connaissances formelles distinguée par la psychologie cognitive, les connaissances conditionnelles, est moins franche mais néanmoins légitime ; il s’agit de connaissances formulées également sous forme productionnelle (mais sous la forme : plusieurs conditions – si, si, si... – déclenchent une action – alors), qui correspondent à la capacité de mettre adéquatement en œuvre le « savoir » et le « savoir-faire » dans un contexte donné.

Pour tenter de lever ces ambiguïtés, certains établissent explicitement les correspondances, comme De Ketele qui propose « savoir-redire (connaissances déclaratives)/savoir-faire (habileté, capacité)/savoir-être (habitude intériorisée, disposition en contexte)», tandis que d’autres reformulent la typologie en « savoir que/savoir comment/savoir quand ». Dans tous les cas, enréférence avec la notion de taxonomie, il s’agit cette fois d’une lecture « verticale », qui faitréférence aux niveaux ou degrés de maîtrise des apprentissages.

Dans le cadre de l’approche par compétences, les deux lectures de la triade, horizontale et verticale, sont nécessaires. Il s’agit de considérer que pour chacun des domaines de la taxonomie, les trois niveaux de maîtrise des phénomènes d’apprentissage doivent être sollicités.

En effet il serait erroné de considérer que seul le domaine cognitif serait en lien avec des connaissances déclaratives (qu’elles soient élaborées à partir de savoirs savants ou de savoirs expérientiels). À l’inverse, il serait tout aussi réducteur de considérer que le domaine psycho-moteur ou le domaine psychoaffectif ne feraient référence qu’à des connaissances d’action.

Des connaissances déclaratives, tout comme des connaissances d’action, sont à identifier et à construire pour chacun des domaines de la taxonomie. Ainsi, « identifier ses émotions » ou « structurer des éléments » sont bien, l’un et l’autre, des savoirfaire (au sens de connaissances d’action), respectivement dans les domaines psycho-affectif et cognitif. Dans le contexte spécifique de l’approche par compétences, ce savoir-faire correspond à un niveau de maîtrise nommé capacité ou, parfois, aptitude ou habilité.

Pour sa part, l’APCi distingue également d’autres domaines (métacognitif, réflexif), renomme « opératif », pour l’élargir, le domaine psycho-moteur, et subdivise le domaine psycho-social en psycho-affectif et social. Elle laisse par ailleurs ouverte la possibilité de faire émerger, sous certaines conditions, de nouveaux domaines (cf. encadrés « Penser l’éthique comme objet d’enseignement et d’apprentissage au regard de l’approche par compétences intégrée », p. 165 et « Des nouveaux domaines taxonomiques à défricher dans le cadre de l’approche par compétences : une réflexion autour du domaine imaginatif », p. 168).

Enfin, la faculté de mobiliser, intégrer et transférer des connaissances et des capacités en situations réelles est nécessaire, autant pour les ressources du domaine cognitif que pour celles du domaine opératif, psychoaffectif ou de tout autre domaine.

On pourrait souhaiter que se stabilise de façon partagée une terminologie moins équivoque, qui n’utilise pas les mêmes termes pour désigner, respectivement, différents domaines d’activités et de savoirs, et différents niveaux de maîtrise d’une taxonomie de phénomènes d’apprentissage.

L’«ensorcelante ambiguïté» de cette triade 4 rend peu probable une telle hypothèse dans un horizon prévisible. Force est donc que chacun explicite en référence à quel axe d’une taxonomie (horizontal ou vertical) il emploie ces différents termes, à défaut d’utiliser une taxonomie qui ne les confond pas, comme le propose l’APCi.

Commentaires :