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Parent F, Jouquan J. Comment Žlaborer et analyser un rŽfŽrentiel de compŽtences en santŽ. Une clarification conceptuelle et mŽthodologique de lĠapproche par compŽtences, Bruxelles 2015 : De Boeck

 

EncadrŽ 18 – page 266

 

 

 

 

Distinguer compŽtence et performance :

une double nŽcessitŽ, dans le milieu de la formation et dans celui de lĠentreprise

 

 

Il existe un large consensus pour considŽrer quĠen tant que savoir-agir, les compŽtences sont clairement liŽes ˆ lĠaction. On observe dĠailleurs quĠelles sont souvent dŽsignŽes sous la forme de lĠŽnoncŽ dĠune action ˆ accomplir. Il faut pourtant prendre conscience que lĠaction en question nĠest que le rŽsultat de la mise en Ïuvre de la compŽtence car celle-ci, en tant que capacitŽ et disposition ˆ agir, nĠest pas directement observable. Rey prŽcise ainsi que la performance est Ç ce que la compŽtence produit [et que] [...] la compŽtence elle-mme, cĠest le pouvoir que lĠon suppose tre ˆ lĠorigine de cette performance et quĠon situe au sein du sujet qui lĠa accomplie È. Ds lors, Žnoncer simplement lĠaction ˆ accomplir dans sa dimension visible Ç ne dit rien [...] du fonctionnement mental de lĠindividu compŽtent [...] ni sur la manire [dĠ] acquŽrir ou de [...] faire acquŽrir [les compŽtences] È. La compŽtence est donc une Ç rŽalitŽ infŽrŽe È dont il convient dĠŽlaborer un construit thŽorique (ou modle), si lĠon souhaite pouvoir lĠapprŽhender, indirectement mais de faon crŽdible et fiable, ˆ partir de manifestations tangibles. Dans lĠapproche par compŽtence intŽgrŽe, cĠest prŽcisŽment la finalitŽ du rŽfŽrentiel de compŽtences intŽgrŽ que de constituer une proposition dĠun tel modle.

 

La distinction entre performance et compŽtence sĠavre donc essentielle. Elle doit dĠailleurs tre faite en lien avec les deux champs dĠacception de la notion de compŽtence, tels que nous les avons dŽjˆ spŽcifiŽs, cĠest-ˆ-dire, respectivement, dans le champ de lĠŽducation au regard dĠune logique pŽdagogique, et dans le milieu de lĠentreprise au regard dĠune logique managŽriale.

 

 

Performance et compŽtence dans le champ de lĠŽducation

 

Dans le champ de lĠŽducation et dĠun point de vue pŽdagogique, la performance dŽsigne une ou plusieurs t‰ches, exploitŽes ˆ des fins Žvaluatives, en tant que produits – ou rŽsultats – dĠapprentissages, pour recueillir des indicateurs ˆ partir desquels des infŽrences peuvent tre faites quant ˆ la rŽalitŽ et la disponibilitŽ des compŽtences.

 

Il peut sĠagir dĠŽpreuves acadŽmiques dont les conditions ont ŽtŽ formellement prŽcisŽes. CĠest notamment le cas des dispositifs dĠŽvaluation ŽlaborŽs en rŽfŽrence ˆ la perspective bŽhavioriste. Dans ce cadre, en effet, la performance, en tant que produit directement observable, est considŽrŽe comme la seule donnŽe fiable pour renseigner sur la rŽalitŽ de lĠexistence dĠune compŽtence. En lien avec la perspective docimologique, cĠest-ˆ-dire avec le courant de lĠŽvaluation qui sĠadosse ˆ une thŽorie de la mesure, la performance doit aussi pouvoir tre mesurable. Ds lors, les Žpreuves qui permettent dĠobserver les performances sont standardisŽes, de manire ˆ satisfaire les critres de la rigueur mŽtrologique, ˆ savoir la validitŽ et la fidŽlitŽ. En consŽquence, les t‰ches Žvaluatives sont presque toujours distinctes des activitŽs dĠenseignement et dĠapprentissage, et externalisŽes par rapport ˆ ces dernires. Les performances sont ainsi sollicitŽes et observŽes dans des contextes qui nĠont le plus souvent quĠune faible authenticitŽ par rapport aux contextes prŽvisibles de rŽutilisation des apprentissages concernŽs.

 

Ë lĠinverse, dans une perspective constructiviste, il est en gŽnŽral admis quĠil faut recourir ˆ des informations qui documentent ˆ la fois le produit et le processus qui lĠa gŽnŽrŽ. CĠest lĠune des conditions qui permettent de faire lĠhypothse dĠune transfŽrabilitŽ des apprentissages. Certaines performances conformes aux rŽsultats attendus peuvent en effet parfois rŽsulter de processus recourant ˆ des stratŽgies inadŽquates ou sollicitant des connaissances erronŽes.

 

CĠest notamment le cas des performances ˆ lĠŽvidence complexes, tel que le raisonnement clinique, pour lequel il persiste encore de nombreuses incertitudes quant aux relations Žtablies entre les compŽtences mobilisŽes – cĠest-ˆ-dire, notamment, les connaissances sollicitŽes et les processus cognitifs mis en Ïuvre – dĠune part, et la performance diagnostique, dĠautre part.

 

Mais cĠest aussi le cas lorsque la performance en question est apparemment de nature strictement procŽdurale, comme lĠest par exemple la pose adŽquate dĠune perfusion intraveineuse. Dans une logique centrŽe uniquement sur la performance, la remŽdiation dĠune procŽdure inadŽquate conduirait ˆ la faire rŽpŽter un certain nombre de fois jusquĠˆ ce que son exŽcution soit correcte. Ë lĠinverse, dans une logique de compŽtence, la remŽdiation consisterait ˆ analyser lĠactivitŽ au regard dĠun cadre conceptuel appropriŽ, recourant ˆ la fois ˆ lĠobservation fine et ˆ la verbalisation ˆ voix haute, de manire ˆ apprŽhender les diffŽrentes composantes dĠune t‰che rŽussie. On pourrait ainsi identifier que le problme dĠune performance inadŽquate est liŽ, par exemple, ˆ une mauvaise gestion du stress, ˆ une difficultŽ relationnelle, ˆ un manque dĠanticipation de lĠaction ou encore ˆ un manque dĠanalyse rŽflexive lors de tentatives prŽcŽdentes de pose de perfusions, avec une absence de retour sur la thŽorie, etc.

 

Si lĠon souhaite attester authentiquement des compŽtences, il importe ainsi de se convaincre que la performance observŽe nĠest pas purement contingente. Dans le cadre dĠune formation professionnalisante, ceci implique notamment quĠune pratique observable – une performance – puisse tre analysŽe et mise en lien avec un outillage intellectuel spŽcifique, ˆ la fois en termes de processus et de savoirs mobilisŽs. La stricte conformitŽ dĠune pratique professionnelle observŽe avec la performance attendue nĠest donc pas suffisante pour infŽrer et attester la compŽtence sous-jacente. Pour documenter le processus, il faut en effet, de surcro”t, que les ressources mobilisŽes pour la performance soient explicitŽes et ŽvaluŽes. Pour postuler, avec une probabilitŽ acceptable, le caractre non strictement contingent de la performance – cĠest-ˆ-dire la transfŽrabilitŽ des ressources concernŽes –, il faut en outre que la performance ait pu tre observŽe dans plusieurs situations et ˆ plusieurs moments. Ë dŽfaut dĠune telle dŽmarche, lĠobservation exclusive de la performance en formation constituerait, au sens propre, une forme de fŽtichisme, dans la mesure o lĠapprentissage serait rŽduit ˆ son rŽsultat, occultant ce quĠil est en tant que processus. CĠest souligner lĠambigu•tŽ qui consiste ˆ traduire learning outcomes par compŽtences, sans en prŽciser les conditions, comme cela est souvent proposŽ dans le champ de lĠŽducation en sciences de la santŽ.

 

 

Performance et compŽtence dans le champ de lĠentreprise

 

Dans le milieu de lĠentreprise, la notion de performance est au cÏur de toutes les dŽmarches dĠŽvaluation et les institutions de soins nĠy Žchappent pas. Une analyse complte de sa dŽfinition dŽpasserait les limites de cette contribution. Elle est cependant Ç associŽe ˆ quatre principes fondamentaux : lĠefficacitŽ, qui traduit lĠaptitude de lĠentreprise ˆ atteindre ses objectifs [...] ; lĠefficience, qui met en relation les rŽsultats et les moyens [...] ; la cohŽrence, [...] qui rapporte les objectifs aux moyens ; la pertinence, qui met en relation les objectifs ou les moyens avec les contraintes de lĠenvironnement È.

 

Dans un tel contexte, la contribution de la performance individuelle de chaque acteur ˆ la performance collective nĠest pas facile ˆ apprŽcier ; diffŽrentes logiques, financire, managŽriale ou professionnelle, sĠintriquent et sĠaffrontent. Il est essentiel de redire que la compŽtence collective nĠest quĠune fiction en tant quĠobjet propre. Elle rŽsulte en effet de la mutualisation de compŽtences individuelles de plusieurs professionnels capables de collaborer et de coopŽrer.

 

Le risque est alors grand que la notion de compŽtence soit assimilŽe ˆ celle de performance et que lĠon accorde plus dĠattention aux rŽsultats produits plut™t quĠaux moyens pour y parvenir, en mŽconnaissant la dimension fondamentalement contingente de la performance en tant que manifestation dĠune compŽtence. Mme si certains acteurs en sciences de la gestion dŽveloppent aujourdĠhui des visions critiques des notions de productivitŽ ou dĠindicateur, en Žvoquant la performance comme un jugement complexe qui sĠapparente ˆ une enqute, et en indiquant Ç quĠaucun systme dĠindicateurs, aussi sophistiquŽ soit-il, ne peut rendre compte intŽgralement et de manire stable de ce quĠest la performance È, une telle orientation comporte le risque de documenter les Ç compŽtences È au regard dĠindicateurs purement comportementalistes, de nature quantitative, souvent sous la forme dĠun contr™le de conformitŽ des pratiques au regard de listes de vŽrification (check-lists). Dans un contexte de culture du rŽsultat et de la productivitŽ, la notion dĠindice de performance devient alors centrale, en lien avec une perspective de comparaison (benchmarking) et de classement (ranking), cĠest-ˆ-dire de compŽtitivitŽ. Ë lĠextrme, la performance sert de support aux relations sociales, de sorte que cette Ç marchandise È – la performance – faonne les rapports sociaux et professionnels, indŽpendamment des finalitŽs. On est alors, ˆ nouveau, dans le cadre dĠun Ç fŽtichisme È de la performance.

 

Ainsi, sĠil nĠest pas illŽgitime de se prŽoccuper de la performance, que ce soit dans le champ de lĠŽducation et de lĠapprentissage, ou dans celui de lĠentreprise et du travail, il convient dĠen apprŽhender tous les enjeux. Il convient notamment de ne pas confondre les deux contextes, au motif que les institutions de formation doivent dŽsormais tre attentives, dĠune certaine manire, ˆ lĠemployabilitŽ de leurs dipl™mŽs, cĠest-ˆ-dire, ˆ tout le moins, au fait que les apprentissages dŽveloppŽs par les Žtudiants, quelles que soient les filires de formation concernŽes, soient transfŽrables en dehors des salles de cours. Il convient ensuite, dans les deux cas, de ne pas rŽsumer la compŽtence ˆ la performance. Dans le cadre Žducationnel, au moment dĠŽlaborer un rŽfŽrentiel de compŽtences, il sĠagit bien dĠexpliciter la compŽtence en tant quĠobjet construit pour orienter lĠenseignement et lĠapprentissage. Ë cet Žgard, il importe notamment de bien clarifier ce quĠun tel modle dŽsigne en termes dĠapprentissages attendus et ne pas rŽduire lĠŽvaluation de ces derniers ˆ lĠexŽcution de t‰ches, sans prise en compte des situations o elles sont observŽes, ni des ressources individuelles et collectives qui sont mobilisŽes ˆ cette fin.

 

 

 

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