Parent F, Jouquan J. Comment élaborer et analyser un référentiel de compétences en santé. Une clarification conceptuelle et méthodologique de l’approche par compétences, Bruxelles 2015 : De Boeck

Encadré 13 – page 128

Situation professionnelle, situation-problème et problème prototypique : des distinctions et une articulation à bien clarifier

1. Les situations professionnelles (et familles de situations professionnelles) : une dimension essentielle de la traduction didactique

Comme cela a été indiqué précédemment, les notions de situation professionnelle et de famille de situations professionnelles permettent de rendre compte, dans le cadre de la traduction didactique, d’un certain degré de similarité caractérisant différentes pratiques professionnelles :

− une situation professionnelle est caractérisée par la conjonction d’un rôle professionnel –ou fonction- à assurer, et d’un milieu –ou contexte- où ce rôle est exercé ;

− une famille de situations professionnelles regroupe un ensemble de situations professionnelles présentant suffisamment de caractéristiques communes, relativement aux milieux concernés et aux tâches impliquées, pour mobiliser des capacités et macro-capacités identiques ou similaires, dans des conditions proches.

À l’étape de la traduction didactique, qui correspond à une démarche d’analyse des besoins de formation, il est nécessaire d’identifier avec soin les différentes situations professionnelles, de manière la plus exhaustive possible, puis, si nécessaire, de les regrouper en familles de situations professionnelles. Dans une perspective de santé publique, il est pertinent de faire l’inventaire de tous les environnements où s’exercent effectivement les pratiques professionnelles, à la fois au regard du mandat et des missions (fonctions soignante ou enseignante, par exemple), des organisations et des institutions (soins primaires, hôpital de première ligne ou centre hospitalier de recours et d’expertise, par exemple), et des territoires géographiques (zone rurale ou urbaine, par exemple).

Le moment venu, ces familles de situations professionnelles devront être mises en correspondance avec des terrains de stage pour les étudiants en formation initiale ou tout autre contexte professionnel pertinent en formation continue. Dans une telle perspective, ces milieux de formation devraient constituer une couverture adéquate de l’ensemble des lieux et des types de pratiques pour un profil professionnel donné. Le but est que les curriculums et contextes de formation ne soient pas réducteurs par rapport aux milieux professionnels réels. Ceci serait le cas, par exemple, d’une formation majoritairement hospitalo-centrée alors que les professionnels de la santé concernés auront vocation à exercer essentiellement en contexte de soins primaires. Ce serait aussi le cas d’une formation exclusivement dédiée aux pratiques professionnelles prescrites par un corpus de dispositions réglementaires, occultant totalement les pratiques professionnelles prestées, qui correspondent aux activités réelles effectuées avec pertinence par les professionnels (par exemple, les pratiques d’accouchement en zone rurale dans certaines régions du monde).

2. Les situations-problèmes : une composante essentielle de la transposition pédagogique

Une situation-problème est une tâche qui est exploitée à l’étape de la transposition pédagogique en tant que situation d’enseignement, d’apprentissage et d’évaluation. De ce fait, il s’agit d’une tâche complète (elle contient des données initiales et vise un but à atteindre), complexe (elle constitue un obstacle et ne peut pas être résolue par la simple application d’une procédure, ni sans que de nouveaux apprentissages soient effectués) et signifiante (elle est caractérisée par son authenticité, au regard de dimensions professionnelles critiques).

Selon les cas, elle est sélectionnée en contexte professionnel authentique, par exemple en situation de stage, ou reconstruite dans le cadre d’un dispositif pédagogique, par exemple sous la forme d’une vignette-papier ou en recourant à la simulation. Dans tous les cas, une situation-problème est centrée sur un problème à comprendre, à expliquer ou à résoudre, avec l’intention explicite que cette activité soit au service d’apprentissages à développer et pas seulement de la performance à accomplir.

On peut distinguer deux types de situations-problèmes :

− dans le premier type, les données de la situation sont présentées sous une forme telle que le problème est déjà (au moins en partie) formulé et qu’il ne reste qu’à le résoudre. Il s’agit de situations problèmes de type fermé ou semi-ouvert ;

− dans le deuxième type, le problème n’est pas donné a priori ; il est à construire, à partir d’une sélection et d’une interprétation, souvent provisoire, des caractéristiques de la situation. Les données de la situation sont présentées sous une forme telle qu’il s’agit, en réalité, d’une situation à problématiser avant d’être résolue. Il s’agit de situations-problèmes de type ouvert.

C’est ce type de situation-problème qui a notamment vocation à être utilisé en tant que situation d’intégration dans le cadre de dispositifs d’intégration. La place respective de ces deux types de situations-problèmes sera discutée dans la partie 3 du guide.

3. Situation-problème et problème prototypique (ou prioritaire) : des liens à préciser

Une troisième clarification terminologique doit enfin être précisée. Dans le cadre des formations professionnalisantes en santé, les situations-problèmes exploitées pour les activités d’enseignement, d’apprentissage et d’évaluation sont en lien avec les familles de situations professionnelles. Ces situations-problèmes devraient être construites ou sélectionnées de manière à rendre compte d’un répertoire des problèmes prototypiques de chaque famille de situations professionnelles.

Les problèmes prototypiques à partir desquels sont élaborées les situations-problèmes sont à lafois : les problèmes les plus centraux ou représentatifs d’une catégorie, qui peuvent être analysés en tant que « forme de référence cognitive » au regard de leur capacité modélisante des problèmes à résoudre dans le cadre de la famille de situations professionnelles concernée ; les problèmes les plus prévalents au sein de cette famille de situations professionnelles, dans une perspective de santé publique ; les problèmes associés à de forts enjeux, par exemple en termes de conséquences (gravité potentielle d’un problème de santé, par exemple), même si ce sont des problèmes peu fréquents.

Lorsque les familles de situations professionnelles sont en lien avec l’activité clinique, les problèmes prototypiques sont des « problèmes de santé », au sens générique du terme. Dans certains cas, il s’agit d’un problème de santé individuelle, pris en charge dans le cadre d’une activité clinique (par exemple, le diabète, les fièvres prolongées, etc.) ; dans d’autres cas, il s’agit d’un problème de santé concernant des groupes ou des populations, pris en charge dans le cadre de la santé publique ou de la promotion de la santé (par exemple, les violences conjugales, le suicide des adolescents, etc.).

Lorsque les familles de situations professionnelles ne sont pas directement en lien avec l’activité clinique, les problèmes prototypiques à identifier et à résoudre ne sont pas nécessairement des problèmes de santé. ll peut s’agir, par exemple, de problèmes de gestion d’équipe de recherche ou de soins, dans une situation professionnelle en lien avec la fonction de management ; il peut aussi s’agir, dans d’autres situations professionnelles, de problèmes scientifiques, de problèmes éducationnels en formation initiale ou continue, etc.

Ainsi, la notion de problème prototypique renvoie à la représentativité des situations-problèmes que les problèmes en question permettent d’exploiter, au regard de leur dimension épidémiologique –prévalence, capacité d’intervention, etc. -, ou de leur exemplarité professionnelle ou scientifique.

Pour cette raison, dans un référentiel de compétences, les équipes pédagogiques les désignent parfois sous le terme de problèmes prioritaires, pour désigner que c’est très préférentiellement à partir d’eux que devront être construites les situations d’enseignement et d’apprentissage.

4. Les situations professionnelles, les situations-problèmes et les problèmes prototypiques : une porte d’entrée vers les savoirs dans le cadre de l’approche par compétences intégrée.

L’originalité de l’APCi consiste explicitement à créer les conditions d’une articulation de ces différentes ressources didactiques ou pédagogiques que sont respectivement les situations professionnelles, les situations-problèmes, les problèmes prototypiques et les savoirs sous-jacents. C’est précisément la fonction du référentiel de compétences intégré, à l’interface de la traduction didactique et de la transposition pédagogique, que de planifier une telle mise en lien.

L’exemple suivant permet de l’illustrer :

− l’infection par le virus VIH est un problème prototypique dans la catégorie des « problèmes de santé » ;

− ce problème de santé peut être caractérisé au regard de différents savoirs : virologie, épidémiologie, clinique, pharmacologie, anthropologie, psychologie ou sociologie, etc. ;

− les différents professionnels de santé peuvent être confrontés à ce problème de santé dans le cadre de « situations professionnelles » différentes, c’est-à-dire en lien avec des rôles et des contextes professionnels différents (à titre d’exemples : dépistage et annonce du résultat dans un dispensaire ; diagnostic et traitement d’une femme enceinte infectée par le VIH présentant une fièvre prolongée et des symptômes respiratoires sévères en service hospitalier ; accompagnement d’une situation de fin de vie d’un patient atteint d’une complication irréversible en unité de soins palliatifs ; coordination d’un protocole de recherche clinique visant à évaluer une nouvelle stratégie de thérapie antirétrovirale dans un pays en développement).

− dans le cadre d’un dispositif de formation, différentes « situations-problèmes » peuvent être sélectionnées ou construites, et exploitées pédagogiquement pour soutenir les activités d’enseignement et d’apprentissage nécessaires à la construction des compétences respectivement requises. Ces activités peuvent être organisées en lien avec divers formats de dispositifs : jeu de rôle, vignette clinique présentée dans un tutorial de type « apprentissage par problème », situation de stage sélectionnée pour développer des apprentissages qui seront documentés dans un portfolio, dispositif de type « apprentissage par projet » dans le cadre d’une thèse de doctorat, etc.

La nature du problème à résoudre dans le cadre d’une situation-problème dépend de la situation professionnelle dans laquelle le problème de santé est contextualisé. Dans une situation professionnelle en lien avec la fonction de soins, le problème à résoudre sera donc un problème clinique. Cependant, à partir d’une même plainte, le problème à résoudre sera différent si le professionnel exerce respectivement en contexte de soins primaires, ou en contexte de soins secondaires ou tertiaires et il convient d’êtreattentif à la dimension prototypique et représentative des situations-problèmes exploitées.

Des exemples de listes de « problèmes prototypiques », tels qu’ils peuvent être formulés dans différents domaines, sont présentés sur le site compagnon.

Dans la perspective de l’APCi, le référentiel de compétences fait explicitement référence aux « familles de situations professionnelles » (approche située) en lien avec les capacités ou macro-capacités requises (approche analytique). Le choix d’y faire figurer la liste des « problèmes prototypiques » peut résulter d’une décision d’équipe lorsqu’on souhaite renforcer la délimitation explicite du champ professionnel concerné. Cependant, l’identification spécifique de telles listes par profession de santé et, parfois, par sous-spécialité professionnelle comporte lerisque de recentrer trop exclusivement le référentiel de compétences et, au-delà, les activités d’enseignement, d’apprentissage et d’évaluation, sur certains problèmes (par exemple, les problèmes cliniques) et sur certains rôles (par exemple, celui de diagnosticien).

Que la liste des problèmes prototypiques figure ou non dans le référentiel de compétences, leur recensement est nécessaire dans une perspective de santé publique, puisqu’il est en effet pertinent de considérer la prise en charge des problèmes de santé en fonction de leur prévalence et du niveau d’intervention du professionnel dans le système de santé concerné. Ainsi, les pathologies et problèmes de santé qui ne sont que rarement -ou jamais-, rencontrés au niveau où l’activité professionnelle se développe (première ligne ; soins d’urgence ; niveau de première référence ou de seconde, voire de troisième référence ; soins ambulatoires ; soins à domicile, etc.) ne devraient pas figurer sur cette liste. C’est à nouveau souligner l’importance que les référentiels de compétences soient élaborés au niveau approprié, local, régional, national ou, plus exceptionnellement, international.

En revanche, la liste des problèmes prototypiques (et notamment des problèmes de santé prioritaires dans le cas des situations professionnelles en lien avec l’activité clinique) a toujours vocation à figurer dans le référentiel de formation et d’évaluation qui se déduit du référentiel de compétences.

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