Parent F, Jouquan J. Comment élaborer et analyser un référentiel de compétences en santé. Une clarification conceptuelle et méthodologique de l’approche par compétences, Bruxelles 2015 : De Boeck

Encadré 12 – page 112

Entre promesses et écueils :
quelques prudences et quelques clarifications autour de la notion de compétence

Le courant de l’approche par compétences n’est pas sans soulever des critiques ou des réserves.

Certaines émanent notamment du milieu de la sociologie du travail ; elles dénoncent les risques d’asservissement des professionnels, en l’occurrence des professionnels de la santé, à une logique strictement médico-économique et gestionnaire, qui ferait fi des spécificités des métiers et qui braderait les savoirs sous-jacents, en se centrant exclusivement sur la dimension opératoire et décontextualisée des différents « savoir-agir ».

D’autres réserves émanent de façon plus ambivalente du milieu de l’éducation. C’est par exemple le cas de cette analyse formulée dans un ouvrage récent 10 :

« [...] il peut paraître provocateur de supposer que le concept de compétence nous a peut-être menés vers une voie sans issue. Pourtant, deux éléments au moins appuient cette thèse pessimiste.

− Le premier d’entre eux est fondé sur l’analyse des écrits et des débats scientifiques, mettant en lumière le caractère polysémique et la multi dimensionnalité du concept. [...]

− Le second élément concerne les problèmes spécifiques que pose l’évaluation des compétences. »

Cette critique ne peut pas être balayée d’un revers de main et nous avons nous-mêmes plaidé pour une clarification des ambiguïtés persistantes. Pour autant, nous considérons que cette limite conceptuelle n’est pas suffisamment péremptoire pour justifier une forme d’immobilisme pédagogique.

Ainsi, l’argument qui serait celui d’une robustesse insuffisante du concept de compétence, au motif de son caractère polysémique et multidimensionnel, mérite-t‐il d’être examiné.

Ce débat est ancien et, de fait, le concept de compétence fait encore référence à des représentations assez différentes, non seulement au regard de sa définition mais davantage encore quant aux dispositifs pédagogiques qu’il inspire lorsque les compétences sont explicitement désignées comme étant les finalités visées d’un programme. Comme cela a été évoqué par ailleurs dans ce guide, une première clarification à opérer consiste à distinguer explicitement les deux logiques à l’œuvre dans le cadre du mouvement de la promotion des compétences : la logique éducationnelle et la logique managériale des ressources humaines. Cette distinction étant faite, dans le champ de l’éducation, l’analyse comparée de plusieurs conceptions, que nous avons reprise plus haut (Cf. exercice « La définition d’une compétence » page 106), montre en revanche une réelle convergence autour de plusieurs éléments clés du concept. Ainsi, les différentes définitions de la compétence, telles qu’elles sont formulées par plusieurs auteurs, s’accordent à en reconnaître des attributs communs :

− des ressources, qui sont autant des savoirs que des capacités ou des aptitudes, que d’autres désignent par connaissances (knowledge), habiletés (skills) ou attitudes (attitudes) 12 , qui doivent être mobilisées dans un but ;

− des situations auxquelles il faut faire face ou des problèmes qu’il faut résoudre, étant observé que la notion de complexité est le plus souvent évoquée ;

− des critères de qualité de l’action à conduire, parmi lesquels l’efficacité et l’efficience, mais aussi le caractère éthique sont souvent mis en avant.

Certes, des zones grises persistent 13 . Ainsi, certaines orientations mettent en concordance plus ou moins univoque les ressources et les situations au cours desquelles elles doivent être mobilisées ; d’autres insistent sur la synergie que permet le processus combinatoire de différentes ressources dans une situation donnée.

Cependant, plutôt que de surseoir à l’évolution vers une approche par compétences, en reportant celle-ci sine die dans l’attente d’un consensus encore plus robuste, il faut plaider pour que chaque équipe enseignante explicite clairement à la fois la définition, et les fondements épistémologiques et méthodologiques sur lesquels elle s’appuie dans le cadre de ses dispositifs curriculaires et pédagogiques, lorsqu’elle se réfère au concept de compétence.

C’est en tout cas le parti pris explicite de ce guide, qui invite précisément à penser d’un point de vue pédagogique, dès l’étape de la planification curriculaire, l’articulation à mettre en place entre les différents champs de savoirs théoriques et pratiques. Dans ce contexte, sauf à promouvoir une conception réductrice du concept de compétence, sa dimension multidimensionnelle doit être considérée comme une ouverture nécessaire à la complexité des phénomènes éducatifs et des problèmes de santé, plutôt que comme un obstacle. Ces derniers aspects, liés notamment « aux problèmes spécifiques que pose l’évaluation des compétences », sont discutés plus loin dans l’ouvrage, dans la section consacrée à ce thème.

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